Arrestation choc dans la tech russe : un PDG lié à une vaste opération de désinformation et de trafic
Doppelgänger : une arrestation à Moscou met en lumière les liens troubles entre l’industrie technologique russe, la désinformation pro-Kremlin et les réseaux de trafic de drogue sur le dark web.
Depuis Moscou, les révélations s’enchaînent à un rythme effréné autour d’une affaire qui pourrait bien secouer les fondations du cyberespace russe. L’arrestation du PDG de la société Aeza Group, Yuri Bozoyan, ne serait pas qu’un simple fait divers judiciaire. Derrière les charges officielles de trafic de drogue à grande échelle et d’organisation criminelle, c’est un pan entier de l’écosystème numérique russe qui se retrouve sous les projecteurs. Aeza, entreprise de services d’hébergement basée à Saint-Pétersbourg, est accusée d’avoir servi de plateforme à des opérations de désinformation pro-Kremlin, à des activités cybercriminelles et à l’hébergement de marchés illicites sur le darknet. Une triple menace à la croisée des enjeux politiques, technologiques et criminels.
Des accusations lourdes aux ramifications politiques
Yuri Bozoyan a été placé en détention provisoire après son interpellation à Moscou. Deux autres employés d’Aeza Group, Maxim Orel et Tatyana Zubova, ont également été arrêtés. Tous trois sont poursuivis pour participation à une organisation criminelle et tentative de trafic de stupéfiants, selon des documents judiciaires russes. Leur arrestation fait suite à une perquisition au siège de l’entreprise à Saint-Pétersbourg, installé dans un bâtiment au passé lourd de symboles : il fut autrefois occupé par des structures liées à Evgueni Prigojine, l’ancien chef paramilitaire du groupe Wagner, dont l’empire médiatique fut tristement célèbre pour ses « fermes à trolls » dédiées à la guerre informationnelle.
Aeza Group, fondée en 2021, est spécialisée dans la location de serveurs et les services d’hébergement web. Bozoyan, quant à lui, n’a rejoint l’entreprise qu’en 2023, mais les soupçons qui pèsent sur son activité dépassent largement le cadre classique d’un fournisseur de services numériques.
Une infrastructure numérique au service du mensonge
Les analystes en cybersécurité avaient depuis plusieurs mois identifié Aeza comme un acteur central dans le déploiement de la campagne de désinformation Doppelgänger. Active depuis au moins 2022, cette opération sophistiquée vise à manipuler l’opinion publique en Europe par le biais de faux contenus imitant les sites de médias occidentaux réputés. Le Guardian, Der Spiegel, et d’autres grands titres ont vu leurs chartes graphiques et codes rédactionnels reproduits à l’identique pour propager des narratifs favorables au Kremlin. L’objectif : semer la discorde et miner la confiance dans les institutions démocratiques européennes.
La campagne Doppelgänger, hébergée en partie par Aeza, vise à déstabiliser l’Europe par la manipulation massive de l’information en ligne.
Mais Aeza ne se contentait pas de soutenir la propagande. Des chercheurs ont aussi mis au jour son rôle dans l’hébergement de serveurs liés à des malwares tels que Lumma et Meduza, deux programmes malveillants utilisés pour le vol de données, l’espionnage industriel ou les fraudes financières. Ces activités relèvent du bulletproof hosting, une méthode qui consiste à offrir un refuge numérique aux opérations illégales, en contournant les interventions des autorités grâce à des juridictions favorables ou des failles réglementaires.

Les pirates russes n’hésitent pas à diffuser des publicités pour leur blackmarket !
Le darknet comme prolongement des activités
Le tableau s’assombrit encore avec les dernières révélations concernant BlackSprut, une place de marché illégale très active sur le dark web que ZATAZ vous a présenté plusieurs fois en vidéo [Youtube ZATAZ]. Selon la presse russe, Bozoyan et un autre cofondateur d’Aeza, Arseny Penzev, sont soupçonnés d’avoir utilisé l’infrastructure de leur entreprise pour héberger ce marché en ligne spécialisé dans la vente de stupéfiants. Une opération de police, menée en février 2025 par un agent infiltré, a permis l’achat de plus de quatre grammes de méphédrone sur la plateforme, ce qui a conduit à la première vague de démantèlement.
Le méphédrone, une drogue de synthèse populaire sur la scène festive de l’Europe de l’Est, circule abondamment via ces canaux numériques. Aux côtés de BlackSprut, d’autres marchés comme OMG, Kraken et Mega façonnent un écosystème criminel qui s’est digitalisé à grande vitesse, facilitant les transactions anonymes grâce aux cryptomonnaies et aux services de dissimulation d’identité.
La société Aeza est soupçonnée d’avoir hébergé BlackSprut, un marché noir du dark web, au cœur du trafic de drogues synthétiques en Russie et en Europe de l’Est.
Silence radio du côté des accusés
Ni Bozoyan ni les représentants d’Aeza Group ne se sont exprimés publiquement depuis l’ouverture de l’enquête. Ce silence contraste fortement avec la gravité des charges et laisse planer un certain mystère sur les ramifications réelles de cette affaire. Pour l’instant, les autorités russes maintiennent une communication limitée, ce qui nourrit les spéculations sur une possible lutte d’influence interne au sein de l’appareil d’État. Certains analystes évoquent en filigrane une opération de « nettoyage » des réseaux cybercriminels jugés trop visibles ou devenus encombrants pour le pouvoir central. Il suffit de voir les cas de ReVIL, LockBit et d’autres groupes que ZATAZ s’était même étonné de voir jeter devant la justice et la presse locale.
Une guerre de l’ombre, bien réelle
Alors que les projecteurs sont braqués sur le conflit en Ukraine et les tensions géopolitiques avec l’OTAN, une autre bataille se joue loin des radars traditionnels. Dans cette guerre de l’ombre, les lignes de front ne sont pas faites de tranchées, mais de serveurs. Les munitions ne sont pas des obus, mais des lignes de code. Et les dégâts peuvent être tout aussi profonds : érosion de la confiance, désinformation massive, criminalité numérique en expansion.
Avec l’affaire Aeza, les contours de ce conflit invisible se précisent. Elle démontre que certaines entreprises technologiques, à l’interface entre le privé et les structures paraétatiques, peuvent devenir les chevilles ouvrières d’un arsenal numérique au service d’ambitions bien plus vastes que le simple profit.
BlackSprut ?
BlackSprut est l’une des principales plateformes de vente de drogues sur le darknet en Russie et en Europe de l’Est. Active depuis plusieurs années, elle propose un large éventail de produits illicites, principalement à des clients issus des pays de la CEI. Successeur présumé du défunt marché Hydra, BlackSprut contrôlerait aujourd’hui près de 28 % du trafic mondial sur le darknet. Elle se distingue par sa visibilité inhabituelle, notamment via des publicités publiques [zataz vous montrait, en 2023 sur Twitch, des publicités diffusées dans les rues par les pirates], et son soutien affiché au Kremlin, avec des dons en cryptomonnaies à des groupes paramilitaires pro-russes.
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