CLIPPER CHIP is back ? Vers la fin du chiffrement et un risque majeur pour la cybersécurité
Le 28 janvier dernier, le Sénat français a adopté un amendement qui pourrait marquer un tournant décisif pour la cybersécurité. Ce texte impose aux éditeurs de messageries chiffrées de fournir aux services de renseignement un accès privilégié aux contenus échangés sur leurs plateformes, sous peine de sanctions financières. Une mesure qui, sous couvert de lutte contre la criminalité et le terrorisme, remet en question la confidentialité des échanges numériques et pose de sérieuses interrogations sur les libertés individuelles et la souveraineté numérique.
L’exigence d’installer des portes dérobées dans les logiciels de communication sécurisés revient à fragiliser systématiquement la protection des échanges. Si cette mesure permet effectivement aux autorités d’accéder à certaines informations, elle ouvre également une faille exploitable par des cybercriminels, des états malveillants et d’autres acteurs menaçants. Par ailleurs, les criminels avertis auront toujours la capacité de contourner ces contrôles en utilisant d’autres outils de chiffrement. Autre détail, cette porte dérobée (backdoor), dans tous les logiciels existant au risque d’être interdit en Europe ?
« Avec des portes dérobées installées dans les logiciels, les organisations ne disposeraient plus d’aucune garantie de protection de leurs échanges critiques et la confiance des utilisateurs en serait profondément altérée. » Renaud Ghia, Président de Tixeo
Une contradiction avec la protection des données et l’innovation
En février 2024, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a pourtant jugé que toute mesure visant à affaiblir le chiffrement contreviendrait au droit européen. Cette décision souligne l’importance d’une protection forte des communications pour garantir la vie privée des citoyens et la sécurité des entreprises. Malgré cela, 32 pays de l’Union européenne, dont la France, soutiennent la fin du chiffrement de bout en bout, illustrant un décalage entre les principes juridiques et les choix politiques.
Cette position est paradoxale à l’heure où la directive européenne NIS 2 encourage les organisations critiques à renforcer leur cybersécurité. Le chiffrement de bout en bout est actuellement la seule technologie capable de garantir un niveau maximal de confidentialité, que ce soit pour les données gouvernementales, les entreprises stratégiques ou les simples citoyens.
Si les messageries chiffrées européennes sont affaiblies, les utilisateurs risquent de se tourner vers des solutions hébergées hors d’Europe, échappant ainsi aux réglementations protectrices des données telles que le RGPD. Un risque considérable pour la souveraineté numérique de la France et de l’UE.
« La fin du chiffrement met en péril l’innovation et renforce la dépendance à des solutions extra-européennes. »
Catherine De Bolle, directrice d’Europol, a alerté sur les risques de l’utilisation abusive de cette technologie par des criminels pour cacher leurs activités. Selon elle, les entreprises technologiques doivent assumer leur responsabilité sociétale en facilitant un accès légal aux communications cryptées. Cette problématique, déjà source de débats depuis plusieurs années, gagne en intensité avec l’augmentation des crimes organisés et des cyberattaques utilisant ces outils.
Lors du Forum économique mondial de Davos, les autorités européennes ont affiché leur souhait d’intensifier la pression sur les grandes entreprises technologiques pour trouver un compromis respectant à la fois la vie privée et les impératifs de sécurité. Ce débat soulève des enjeux cruciaux pour l’équilibre entre droits fondamentaux et protection collective au sein de la démocratie européenne. On ne peut leur donner tort quand on voit les actions judiciaires contre de nombreux groupes pirates à la suite de l’arrestation du cofondateur de Telegram et de l’aide de sa plateforme à fournir des informations aux autorités. Pas besoin d’affaiblir le chiffrement, il faut obliger les plateformes à respecter la loi et à répondre aux demandes.
Un équilibre à trouver entre sécurité et liberté
Les régulateurs et décideurs politiques doivent faire face à un dilemme : garantir la sécurité nationale sans compromettre les libertés fondamentales et la confidentialité des communications. Le risque de pillage économique et d’espionnage industriel est réel si la confiance dans les outils numériques s’effondre.
Plutôt que d’affaiblir le chiffrement, des solutions alternatives existent :
- Un encadrement plus strict des fournisseurs de services numériques, sans altérer les protocoles de sécurité. On le voit avec Telegram, ça fonctionne !
- Le développement d’outils de cybersécurité avancés permettant aux forces de l’ordre de lutter efficacement contre les menaces tout en respectant la vie privée. C’est ici que le besoin de « passer » le chiffrement se fait sentir. Les « bot », « spider » et autres IA font déjà le travail de remonter des alertes. Sauf quand les messages sont illisibles, car chiffrés.
- Une coopération internationale renforcée pour mieux surveiller et combattre les activités criminelles sur le darknet et autres réseaux parallèles. Les infiltrations dans plusieurs téléphones « mafieux » et chiffrés montrent que cela fonctionne.
Et vous, qu’en pensez-vous ? Donnez votre avis dans les commentaires.
Un peu d’histoire …
Comme vous le savez, chez ZATAZ, nous sommes férus d’histoire. N’oubliez jamais que le passé ne meurt jamais et qu’il est garant de notre avenir, des expériences, réussites et erreurs. L’histoire et le chiffrement ont déjà une longue route tracée ensemble. Voici le panorama historique vue par ZATAZ. Ce résumé se veut une synthèse des principales étapes et controverses judiciaires et réglementaires concernant le chiffrement à travers le monde. Il est loin d’être exhaustif. Je vous recommande d’approfondir chaque aspect en consultant les sources que je vous indique pour obtenir des informations détaillées et mises à jour sur ce sujet complexe et en perpétuelle évolution. D’ailleurs, n’hésitez pas à apporter votre touche/correction/avis/mise à jour dans les commentaires.
Les prémices du débat sur le chiffrement (années 1970 – début des années 1990)
Les débuts de la cryptographie moderne et la régulation américaine
Dans les années 1970, l’invention des algorithmes de chiffrement à clé publique, comme le RSA (1977), révolutionne la sécurité des communications. Toutefois, alors que ces technologies deviennent de plus en plus accessibles, le gouvernement américain s’inquiète de leur utilisation par des criminels ou des terroristes (et oui, déjà). Dès lors, des restrictions d’exportation strictes sont mises en place pour limiter la diffusion des technologies de chiffrement à l’étranger.
L’émergence de PGP et les débuts de la « Crypto War » (1991 – 1994)
En 1991, Philip Zimmermann publie la première version de PGP (Pretty Good Privacy), un logiciel permettant aux particuliers de chiffrer leurs communications de manière efficace. L’objectif affiché est de garantir la vie privée dans un contexte où les gouvernements, notamment américain, cherchaient à conserver le contrôle sur l’accès aux informations.
- Événement clé (1991) : Publication de PGP par Zimmermann.
- Réaction judiciaire : Suite à sa publication, Zimmermann est l’objet d’une enquête du FBI, accusé de violer les lois d’exportation américaines. Bien que l’enquête n’ait pas abouti à des poursuites, cet épisode marque le début d’un conflit ouvert entre les défenseurs de la vie privée et les autorités cherchant à encadrer l’usage du chiffrement.
- 2025 : PGP se nomme aujourd’hui, pour le grand public, GPG. Il est accessible dans des outils grand public comme Proton Mail ou encore Thunderbird pour ne citer qu’eux.
Le projet Clipper Chip
Fin 8, le gouvernement américain lance le projet Clipper Chip, une initiative visant à intégrer une porte dérobée (backdoor) dans des dispositifs de chiffrement destinés aux communications privées. L’idée était de permettre aux autorités d’accéder aux communications chiffrées dans le cadre d’enquêtes criminelles et de lutte contre le terrorisme.
- Controverse : Le Clipper Chip suscite une vive opposition de la part des experts en sécurité, des entreprises et des défenseurs des libertés civiles, qui dénoncent une atteinte grave à la confidentialité des communications.
- Échec du projet : Sous la pression publique et les critiques techniques, le projet est finalement abandonné dans les années suivantes. En 1993, un chercheur découvre une faille. 1996, le projet est abandonné.
L’expansion des débats sur le chiffrement dans les années 1990
La « Crypto War » et les débats internationaux
Tout au long des années 1990, le débat sur le chiffrement s’intensifie aux États-Unis et se propage à l’international. Les législateurs américains et européens se divisent entre la nécessité d’assurer la sécurité nationale et la protection de la vie privée.
- Cas notables :
- En 1994, un rapport du Sénat américain aborde la question des restrictions sur le chiffrement et leurs impacts sur l’économie et l’innovation technologique.
- Dans plusieurs pays européens, bien que les débats soient moins médiatisés, des discussions sur l’équilibre entre sécurité et liberté individuelle se poursuivent.
Le tournant du nouveau millénaire (2000 – 2010)
L’impact des attentats du 11 septembre 2001
Après les attentats du 11 septembre 2001, la lutte contre le terrorisme devient une priorité mondiale. Les gouvernements renforcent les mesures de surveillance et remettent en question l’usage de technologies de chiffrement non contrôlées.
- Effets sur la réglementation : Plusieurs pays commencent à revoir leurs politiques sur le chiffrement. La tension monte entre les entreprises de technologie, les défenseurs de la vie privée et les autorités chargées de la sécurité nationale.
L’évolution du débat en Europe et aux États-Unis
Au cours de cette période, la question de la « porte dérobée » revient régulièrement sur le devant de la scène :
- En Europe, plusieurs commissions parlementaires examinent les moyens de permettre un accès légal aux données chiffrées pour lutter contre le terrorisme, tout en tentant de préserver les libertés fondamentales.
- Aux États-Unis, des débats similaires se poursuivent, avec des propositions législatives visant à obliger les entreprises à intégrer des mécanismes d’accès pour les autorités.
Développements dans le domaine des messageries sécurisées
La fin des années 2000 voit également l’émergence et la popularisation de nouvelles applications de messagerie (WhatsApp, Signal, etc.) qui utilisent le chiffrement de bout en bout. Ces innovations technologiques posent de nouveaux défis aux autorités, qui redoutent de perdre le contrôle sur les communications chiffrées en temps réel.
La controverse Apple/FBI et le débat sur le chiffrement des smartphones (2015 – 2016)
L’affaire San Bernardino (2015 – 2016)
L’un des épisodes les plus médiatisés de la dernière décennie concerne l’affaire San Bernardino aux États-Unis.
- Contexte : En décembre 2015, après une attaque terroriste à San Bernardino, le FBI récupère l’iPhone d’un des terroristes et cherche à accéder aux données chiffrées de l’appareil.
- Conflit juridique : En février 2016, le FBI demande à Apple de créer une version modifiée du système d’exploitation de l’iPhone permettant de contourner certaines sécurités (une forme de porte dérobée) afin de déchiffrer les données. Apple refuse catégoriquement, arguant que la création d’un tel outil affaiblirait la sécurité de tous ses utilisateurs et ouvrirait la porte à d’éventuelles abus par d’autres gouvernements ou acteurs malveillants.
- Déroulement : La bataille judiciaire se déroule sous le feu des projecteurs et soulève un débat international sur la sécurité des smartphones, la protection de la vie privée et le pouvoir des agences gouvernementales. Finalement, le FBI abandonne sa demande après avoir trouvé une solution alternative avec l’aide d’un tiers non divulgué.
- Impact : Ce cas a renforcé la position des défenseurs du chiffrement, mettant en lumière les risques potentiels d’un affaiblissement généralisé des systèmes de sécurité numérique.
Les évolutions réglementaires et judiciaires récentes (2017 – 2023)
Renforcement des régulations et nouvelles législations
Après l’affaire Apple/FBI, plusieurs pays ont continué à examiner la question du chiffrement en relation avec la lutte contre le terrorisme et la criminalité organisée.
- États-Unis :
- Des discussions législatives se poursuivent autour de la notion d’« accès assisté » (ou « backdoor access ») pour permettre aux forces de l’ordre de décrypter certaines communications en cas d’enquête criminelle.
- Plusieurs projets de loi sont présentés au Congrès, mais ils rencontrent une forte opposition de la part des entreprises technologiques et des experts en cybersécurité qui soulignent le risque de créer des vulnérabilités exploitables par des cybercriminels ou des États hostiles.
- Union européenne :
- Des discussions sont également en cours au niveau européen. Par exemple, en 2018, le Parlement européen examine des propositions visant à faciliter l’accès des autorités aux données chiffrées dans le cadre des enquêtes criminelles, tout en tentant de respecter les droits fondamentaux des citoyens.
- En 2020, l’Union européenne renforce ses directives sur la cybersécurité, avec des mesures incitant à une meilleure coopération entre les États membres, tout en laissant ouverte la question du chiffrement fort et de l’accès des autorités aux communications.
- Autres juridictions internationales :
- Australie : En 2018, le gouvernement australien adopte une loi renforçant le pouvoir des agences de renseignement et de police pour accéder aux données chiffrées, connue sous le nom d’« Assistance and Access Act ». Cette loi autorise, sous certaines conditions, l’obligation faite aux entreprises technologiques de fournir une assistance technique pour déchiffrer les communications.
Royaume-Uni : Le Royaume-Uni a également connu des débats intenses sur le chiffrement. En 2017, la police et les services de renseignement demandent à nouveau aux entreprises de technologies de l’information de faciliter l’accès aux communications chiffrées dans le cadre d’enquêtes sur le terrorisme et la criminalité. Bien que des mesures législatives aient été proposées, elles rencontrent une forte opposition au sein de la société civile et des experts en sécurité.
- Australie : En 2018, le gouvernement australien adopte une loi renforçant le pouvoir des agences de renseignement et de police pour accéder aux données chiffrées, connue sous le nom d’« Assistance and Access Act ». Cette loi autorise, sous certaines conditions, l’obligation faite aux entreprises technologiques de fournir une assistance technique pour déchiffrer les communications.
Les débats autour des messageries chiffrées :
- Applications de messagerie :
Des applications telles que WhatsApp, Signal, Telegram et autres utilisent le chiffrement de bout en bout pour garantir la confidentialité des communications.- Réactions des autorités : Plusieurs gouvernements, notamment en Asie et au Moyen-Orient, expriment leur mécontentement face à l’impossibilité d’intercepter ces communications dans le cadre d’enquêtes criminelles. Certains pays imposent même des restrictions ou tentent d’imposer des obligations aux fournisseurs pour qu’ils offrent un accès aux communications.
- Exemple : En 2020, la Turquie a menacé d’interdire certaines applications de messagerie chiffrée si elles ne coopéraient pas avec les autorités en permettant l’accès aux messages dans des cas de menace à la sécurité nationale. En Inde, plusieurs dizaines d’applications sont interdites aprés des problèmes à la frontière avec la Chine.
- La Chine et le contrôle numérique :
La République populaire de Chine adopte une approche différente en imposant un contrôle strict sur les technologies de chiffrement.- Législation sur le chiffrement : La Chine exige que toutes les technologies de chiffrement soient enregistrées auprès des autorités et que des clés de déchiffrement soient mises à disposition en cas de demande officielle. Ces mesures visent à maintenir un contrôle sur la circulation de l’information et à prévenir toute utilisation subversive des technologies de chiffrement.
Bref, comme ZATAZ a pu vous le montrer, de la publication de PGP par Philip Zimmermann en 1991 aux débats enflammés de l’affaire Apple/FBI en passant par les projets législatifs en Europe, aux États-Unis, en Australie et même en Asie, l’histoire du chiffrement est étroitement liée aux évolutions politiques, juridiques et technologiques de notre époque. Le fil conducteur demeure le défi de concilier la nécessité de protéger la vie privée et la sécurité individuelle avec les exigences des autorités en matière de lutte contre la criminalité et le terrorisme.
Chaque épisode – qu’il s’agisse du projet Clipper Chip dans les années 1990, des débats législatifs post-11 septembre ou des confrontations juridiques récentes – illustre la complexité de ce sujet. Alors que les technologies de chiffrement se renforcent, le débat sur l’accès aux données reste d’actualité, invitant à une réflexion permanente sur la manière de garantir un équilibre entre innovation technologique et sécurité publique.
En résumé, l’histoire judiciaire et réglementaire autour du chiffrement démontre que, malgré la pression des autorités pour affaiblir ces systèmes (via des portes dérobées ou des obligations d’accès assisté), la tendance générale, soutenue par les acteurs privés et les défenseurs des droits numériques, est de maintenir – voire de renforcer – l’intégrité du chiffrement. Ce dilemme continuera d’alimenter des débats à l’échelle mondiale, influençant les politiques publiques et la confiance des utilisateurs dans leurs technologies de communication.
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