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Faux papiers et données volées : un site inquiétant sort de l’ombre

Découverte – Un site obscur jusque-là cantonné au darkweb fait surface sur le web classique, exposant des milliards de données piratées et facilitant la création de faux documents officiels.

C’est une vitrine de l’illégalité en ligne, camouflée derrière une interface léchée, que ZATAZ a exploré. Ouvert il y a quelques jours, il permet en quelques clics des actions malveillantes à la portée de toutes et tous. Ce site jusque-là tapi dans les recoins du darkweb offre à ses utilisateurs des outils redoutables : plus de cinq milliards d’identifiants piratés, des faux documents administratifs sur mesure, des services de recherche automatisée de données compromises, le tout en échange de quelques euros en cryptomonnaie. Un arsenal numérique destiné aux cybercriminels, désormais accessible sur le web traditionnel.

Depuis début 2025, cette plateforme, dont ZATAZ taira volontairement le nom, a décidé de franchir une frontière invisible. Là où ses concurrents opèrent dans l’ombre des réseaux anonymes, elle joue une carte différente : rendre ses services accessibles au plus grand nombre, sans nécessiter de navigateur Tor. Une stratégie de visibilité qui inquiète. Car cette nouvelle accessibilité abaisse la barrière d’entrée à des outils jusqu’ici réservés à des initiés. Il ne s’agit plus d’un simple dépôt de bases de données piratées, mais d’un véritable hub criminel en ligne, où chacun peut générer des faux documents (Fausses ordonnances, fausses factures Française ou Suisse, faux RIB, fausse attestation Sécurité Sociale, fausse fiche de paie, faux RIB), accéder à des identifiants volés. Le pirate offre même la possibilité de lui parler via des messageries chiffrées telles que Signal ou Simplex.

Une base de données massive, un moteur de recherche criminel

L’un des « atouts » les plus inquiétants du site est son moteur de recherche interne, capable d’explorer en quelques secondes les 5,3 milliards d’identifiants collectés. Ces données proviennent majoritairement de logiciels malveillants de type info stealer, des programmes qui s’infiltrent dans les appareils pour siphonner identifiants, mots de passe et cookies de session. Le Service de Veille ZATAZ, via le ZATAZ Watch, en a référencé des « milliards » depuis plus de 5 ans.

Cette immense base est ensuite classée, triée, et rendue consultable gratuitement, avec certaines limitations. Un utilisateur non-abonné peut effectuer jusqu’à dix recherches par jour. En payant l’équivalent de 4 dollars par mois (environ 3,70 €), il accède à des recherches illimitées, une interface API automatisée, et la possibilité de générer dix upgrades de comptes en ligne, des liens permettant de convertir des comptes gratuits en versions premium sur divers services numériques, comme Deezer !

La nature exacte de ces upgrades reste floue, mais les captures d’écran analysées par le Service Veille ZATAZ montrent que certains liens permettent d’accéder illégalement à des services payants, parfois même à des comptes professionnels compromis.

Service de Veille ZATAZ – 96% de satisfaction

Des faux documents clés en main

L’autre pilier du site repose sur la création automatisée de faux documents. Les options disponibles sont saisissantes : RIB falsifiés, factures d’électricité en Suisse ou en France, fiches de paie, ordonnances médicales, attestations d’Assurance Maladie… Chaque document peut être personnalisé pour s’adapter à l’identité volée d’un internaute. Il suffit de renseigner un nom, une adresse, une date de naissance, et l’algorithme génère une version réaliste, parfois difficile à distinguer d’un original. Le pirate, caché derrière ce site web semble être Français. L’ensemble des modèles proposés, avant leur modification, sont au nom du président de la République Française, Emmanuel Macron.

Ce type de service n’est pas nouveau, les sites Illicit Services (et ses 14 milliards de données) et AutoScan (fermés aujourd’hui) en leur temps avaient attirer légitiment les autorités, mais cette nouvelle version gagne ici une facilité d’accès et un niveau de finition rarement vus. Des cybercriminels peuvent ainsi construire en quelques minutes un dossier complet pour usurper une identité, solliciter un crédit, ouvrir une ligne téléphonique ou valider un compte bancaire.

Des dizaines de services publics ou privés peuvent être dupés par de tels documents, surtout lorsqu’ils sont appuyés par des identifiants de connexion récupérés dans la base de données du site. Le tout constitue une boîte à outils idéale pour les escroqueries complexes, du faux dossier locatif à la fraude sociale.

En vidéo, on visite cette inquiétante boutique.

Une interface utilisateur trompeusement légitime

À l’ouverture du site, l’utilisateur est accueilli par un panneau de contrôle digne des applications légitimes : e-mail de connexion, statut d’abonnement, date d’expiration, historique des recherches. On y trouve aussi une section dédiée à la génération de liens d’upgrade et un tableau de bord automatisé nommé « Auto’Scan », qui surveille les bases de données à la recherche de nouvelles fuites.

Cette interface moderne et ergonomique est pensée pour rassurer l’utilisateur. Elle imite les codes visuels des services SaaS, en brouillant la frontière entre légalité et criminalité. Cette esthétique de la transparence, couplée à un discours pseudo-professionnel (« Nous respectons votre vie privée », « Nous ne collectons pas vos données d’usage »), vise à normaliser l’activité du site et à séduire un public plus large.

La plateforme insiste par ailleurs sur sa politique de confidentialité, affirmant ne pas revendre les données personnelles des utilisateurs. Elle prend soin de détailler ses conditions d’utilisation, son cadre juridique (placé sous la loi des Maldives), et les restrictions imposées à ses services — notamment l’interdiction de toute utilisation malveillante (SIC!). Un affichage cynique, tant les fonctionnalités offertes vont précisément à l’encontre de cette clause.

Modèle économique malveillant

Le site repose exclusivement sur des paiements en cryptomonnaie, principalement via Coinbase. Il ne s’agit pas de grandes sommes : 4 dollars par mois pour un abonnement standard (environ 3,70 €), et des tarifs similaires pour accéder à d’autres fonctionnalités. Ce faible coût d’entrée, couplé à la facilité d’usage, constitue l’un des leviers les plus puissants du modèle. Il permet à des acteurs malveillants peu expérimentés de se lancer dans des activités illégales avec un risque minimal.

Le recours au Bitcoin garantit en parallèle un certain anonymat, bien que les transactions soient traçables publiquement. En utilisant des portefeuilles anonymes ou des plateformes tierces, les opérateurs comme les utilisateurs peuvent contourner partiellement la surveillance des autorités. Le pirate passe par CoinBase pour son business !

Ce modèle d’abonnement crypto, associé à une automatisation poussée des services (API, Auto’Scan, génération de documents), montre que le cybercrime a désormais adopté les méthodes du capitalisme numérique : simplicité d’usage, faible friction, accessibilité mondiale.

L’essor de ce type de site représente un casse-tête croissant pour les services de lutte contre la cybercriminalité. La migration de plateformes criminelles du darkweb vers le web conventionnel rend leur repérage plus aisé, mais complique leur fermeture. Le recours à des hébergements offshore, des juridictions peu coopératives (comme les Maldives dans ce cas), et des canaux de communication chiffrés freine considérablement les investigations.

Service de Veille ZATAZ – 96% de satisfaction

Quand l’illégalité devient un service en ligne

La banalisation de services comme celui-ci interroge profondément sur l’évolution de la criminalité numérique. Ce n’est plus seulement un domaine réservé aux hackers talentueux, mais un écosystème marchand, où les outils sont packagés, les offres tarifées, les interfaces soignées.

Le glissement du darkweb vers le web accessible reflète un tournant : celui d’une économie parallèle en quête de nouveaux marchés, visant les particuliers, les escrocs opportunistes, et les cybercriminels amateurs. Il révèle aussi l’échec relatif des dispositifs actuels de cybersécurité à endiguer la fuite des données et la diffusion d’outils malveillants.

Dans ce contexte, la régulation, la prévention, l’éducation numérique et la coopération policière deviennent des armes aussi essentielles que les firewalls (pare-feux) ou les antivirus. Car face à des plateformes de plus en plus audacieuses, la ligne entre le monde légal et illégal n’a jamais été aussi fine.

Faut-il repenser entièrement notre rapport à la sécurité numérique à l’ère des cyber services illégaux en libre accès ? Découvrez en vidéo cette inquiétante boutique. Le Service de Veille ZATAZ est là pour vous seconder à être alerté le plus rapidement et efficacement possible face à ce genre d’outils et de toutes les fuites de données possibles [et pas que vos mails et mots de passe !].

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[Merci à S.]

Au sujet de l'auteur
Damien Bancal (damienbancal.fr) est un expert internationalement reconnu en cybersécurité. Il a fondé le projet Zataz en 1989. ZATAZ.com est devenu une référence incontournable en matière d'information sur la sécurité informatique et les cybermenaces pour le grand public. Avec plus de 30 ans d'expérience, Damien Bancal s'est imposé comme une figure majeure dans ce domaine, contribuant à la sensibilisation et à la protection des internautes contre les cyberattaques. Sa carrière est marquée par une forte implication dans l'éducation à la cybersécurité, notamment à travers des conférences et des publications spécialisées. Il est l'auteur de plusieurs ouvrages (17) et articles (plusieurs centaines : 01net, Le Monde, France Info, Etc.) qui explorent les divers aspects du piratage informatique et de la protection des données. Il a remporté le prix spécial du livre du FIC/InCyber 2022. Finaliste 2023 du 1er CTF Social Engineering Nord Américain. Vainqueur du CTF Social Engineering 2024 du HackFest 2024 (Canada). Damien Bancal a également été largement reconnu par la presse internationale dont le New York Times, qui souligne non seulement son expertise mais aussi son parcours inspirant. Par exemple, un portrait de La Voix du Nord le décrit comme "Monsieur Cybersécurité", soulignant son influence et son rôle essentiel dans ce domaine. Enfin, il figure parmi les personnalités les plus influentes dans la cybersécurité, comme le souligne Le Big Data, et a été classé parmi les 500 personnalités tech les plus influentes en 2023 selon Tyto PR. Chroniqueur TV et Radio (France Info, M6, RTL, Medi1, Etc.) Volontaires de la réserve citoyenne - Gendarmerie Nationale et de l'Éducation Nationale. Médaillé de la DefNat (Marine Nationale) et de la MSV (Gendarmerie Nationale). Entrepreneur, il a lancé en 2022 la société veillezataz.com.

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